30 octobre 2010

La baguette magique



Que faisait-il là ? Sur cette banquise ? Les deux pingouins à ses côtés, étaient-ils Croquette et Pantoufle, ses chats ? Qu'est-ce qui avait bien pu les propulser au Pôle Nord ? Et que faisait ce poisson dans sa main ? Ne tenait-il pas un avion, juste avant, dans sa chambre ?
Clément se rappela soudain qu'il avait dit quelque chose à sa mère, sur le froid qu'il faisait et sur le fait qu'elle n'avait pas allumé le chauffage. Quelque chose comme "si ça continue je vais me transformer en esquimau et je pourrais aller habiter au Pôle Nord". Et il se rappela qu'un jour sa mère lui avait dit : "si tu continues à râler je vais sortir ma baguette magique et te montrer que tu exagères".
C'était donc vrai. Elle avait mis sa menace à exécution et s'était servi de sa baguette magique. Elle l'avait envoyé au Pôle Nord pour lui montrer qu'il y faisait beaucoup plus froid que chez eux, même sans chauffage.
Alors Clément eut une idée. Il leva les yeux vers le ciel et dit, tout simplement : "D'accord, maman, j'ai compris. Ramène-nous à la maison. Je ne râlerai plus pour rien." Ensuite il attendit de rentrer et se demanda ce qu'il pourrait dire la prochaine fois pour que sa mère l'envoie sur Mars.

(Illustration Estelle Billon-Spagnol)

29 octobre 2010

Le terrier



Mon frère et moi on avait décidé de jouer à Alice au pays des merveilles. Lui il faisait le chapelier fou, et moi le lapin de Mars. On avait préparé une table avec du thé et des cartes. C'était exactement comme dans le livre, à un détail près : le chien du chasseur était posté à la sortie de notre terrier, et attendait que l'on sorte.
Mon frère trouvait ça plutôt drôle. Moi, comme j'étais la plus grande des deux, je jouais aux cartes tout en réfléchissant à un plan pour nous enfuir.
Finalement on a entendu des ronflements qui venaient d'en haut. Apparemment le chien s'était endormi. On a continué à jouer aux cartes. J'ai arrêté de penser à notre évasion. On était bien, tous les deux, sous la terre. J'en oubliais que mon frère n'était pas tout à fait comme les autres. J'en oubliais que dehors, on se moquait de lui. J'en oubliais même ce chasseur qui me prenait pour un vrai lapin.
Alors quand mon frère a posé sa dernière carte, je lui ai resservi du thé et j'ai dit : "on fait une autre partie ?"

(Illustration Gwladys Morey)

28 octobre 2010

Transportée



Légère comme une plume. Enfin. Débarrassée de tous ses soucis. Se promenant dans un paysage inconnu, laissant le vent soulever ses cheveux. Loin du collège, des disputes entre copines, loin de celui qui campe dans sa tête et qui ne l'aime pas, loin des profs soupirant en ouvrant la porte de leur classe. Loin de tout ça. Loin de sa vie. Tout simplement ailleurs. Transportée.

(Illustration Brunella Baldi)

27 octobre 2010

Mademoiselle Constance



Viendrait-il ? Ne viendrait-il pas ?
Mademoiselle Constance s'était préparée toute la journée au rendez-vous de ce soir. Elle avait repassé sa robe, lissé ses cheveux, dépoussiéré les meubles, brossé le renard empaillé, remonté la vieille horloge et redressé les tableaux. Elle était prête depuis maintenant deux heures et attendait, vissée sur sa chaise, comme hypnotisée par le tic tac de l'horloge.
Viendrait-il ? Ne viendrait-il pas ?
Mademoiselle Constance savait qu'un jour tout cela se terminerait. Qu'un jour elle attendrait sur sa chaise, s'endormirait sans doute et se réveillerait le lendemain sans l'avoir aperçu. Que ces choses ne duraient pas. Qu'en grandissant on finissait par les perdre.
C'est ainsi que chaque année, à la même heure, Mademoiselle Constance tremblait sur sa chaise à l'idée qu'elle avait dépassé l'âge de l'attendre.
Il faut dire qu'à vingt-deux ans, elle ne connaissait personne qui, comme elle, recevait encore la visite du  Père-Noël.

(Illustration Julie T)

26 octobre 2010

La capsule



Au début, Lola avait eu le vertige. Il faut dire que la capsule auto-volante construite par son grand-père n'avait pas de porte et que ça n'était pas rassurant. Et puis la petite fille avait fini par se faire à l'altitude. Le ballet tranquille des nuages l'avait bercée et lui avait fait oublier la hauteur.
Elle ouvrit finalement les yeux et vit un oiseau coloré passer devant elle. Elle regretta de ne pas avoir pris d'appareil photo. Sur ses genoux, Crapouille restait bouche ouverte et ne disait rien. Ce qui était plutôt habituel pour un doudou.
Soudain le vent se fit plus fort, et la capsule commença à tanguer. Lola s'agrippa aux coussins et ferma les yeux à nouveau. Le vent continua à souffler et renversa la capsule. Lola et Crapouille se retrouvèrent projetés dans les airs, frôlant les ailes de l'oiseau vert et bleu.
Au moment où ils touchèrent le sol, celui-ci était mou et familier. Lola s'éveilla en soupirant et s'assit sur son lit. Elle détestait rêver parce qu'ensuite ce qu'elle avait vu lui manquait et que sa journée n'était pas drôle.
Crapouille, lui, était tombé par terre mais ne semblait pas s'en plaindre. C'était bien le début d'une journée qui commençait au ras du sol.

(Illustration Orély)

25 octobre 2010

Avis de recherche



Recherche Barnabé.
Chat noir et gris, 2 ans, sans collier. Disparu depuis jeudi.
Particularités : aime se percher. Sait sourire. Sait parler latin. Sait lire et raffole des explications de texte.
Si vous le trouvez, tendez-lui un livre. Laissez-le approcher. Ne l'effrayez pas au moment où il met ses lunettes. Attendez qu'il lise au moins une page. Puis posez-lui cette question : "Barnabé, comment as-tu compris ce passage ?"
Pendant qu'il réfléchit à sa réponse, saisissez-le fermement. Barnabé ne vous fera aucun mal. C'est un chat qui n'a jamais appris à se battre. Il prend soin de ses griffes pour pouvoir tourner les pages des livres sans les abîmer.
Une fois que Barnabé est chez vous, appelez-moi au 06 79 65 27 3898.
Merci pour votre aide.

Madame Conte, institutrice à l'école Marcel Aymé.

(Illustration Manon Gauthier)

23 octobre 2010

Carnaval



"Et si j'étais une tomate ?" Avait dit Thomas.
"Et si j'étais un chien ?" avait dit Toby.
Et c'est ainsi que pour le carnaval, chacun se mit à la fabrication d'un costume.
Celui de Toby était tellement réussi qu'il oublia qu'il n'était pas un chien et qu'il s'habilla même par dessus son costume. Et les gens crurent que Thomas avait acheté un chien déguisé en homme.
Le costume de Thomas faisait beaucoup rire Toby. Il avait du mal à croire que son ami puisse se cacher dans tout ce rouge. Et à chaque fois que ce dernier soulevait son masque, c'était la même surprise.
Ils décidèrent de ne plus jamais enlever leurs déguisements. A l'école, on s'habitua à la présence de cette immense tomate accompagnée d'un chien à chemise. Les mois passèrent, puis les années. Mais bientôt les costumes devinrent trop serrés. Thomas et Toby durent donc se résoudre à s'en séparer et à redevenir de banals petits garçons. Ce qui finalement commença à leur plaire. Seulement les autres s'étaient mis à les appeler "Tomat'au jus" et "Toby le roquet", qui n'était pas facile tous les jours, sans les costumes.
Alors ils en fabriquèrent de nouveaux, identiques mais plus grands chaque année. Jusqu'au jour où enfin, il purent quitter l'école. Et ce soir là, en jetant leurs cartables et leurs costumes, Thomas et Toby se jurèrent de ne jamais plus s'amuser à devenir quelqu'un d'autre.

(Illustration Olivier Daumas)

22 octobre 2010

Le grand rat de l'opéra



Victor avait enfin trouvé la clef des chants. Il avançait prudemment, son trésor au dessus de la tête, en prenant garde à ne pas trébucher. Il ne fallait surtout pas faire tomber la clef, qui était très fragile. Et une clef des chants avec la voix cassée, ça n'avait plus aucun intérêt.
En marchant il pensa à son futur succès. Aux fleurs qu'on lui jetterait sur scène. Aux musiciens qui se lèveraient pour lui. Aux affiches qui l'annonceraient comme "le grand rat de l'opéra". Victor en eut les larmes aux yeux. Ce qui embua ses lunettes. Ce qui l'empêcha d'apercevoir une clef de sol qu'on avait laissée traîner là. Ce qui provoqua sa chute, et celle de son précieux fardeau.
Aucune affiche ne porta le nom de Victor. Jamais aucun rat de l'opéra ne fut grand.

(Illustration Cécile Vangout)


21 octobre 2010

Le livre rouge de Darius




Ce jour-là, Darius avait trouvé un livre rouge dans un vieux coffre chez sa grand-mère. Il avait commencé à le lire en marchant, puis s'était mis à rire et à pousser des cris qui attirèrent l'attention des passants.
"Darius, que lis-tu là ?" demandèrent les uns.
"Lis-nous ce livre, à nous aussi !" réclamèrent les autres.
"D'accord" répondit Darius, "mais je vous préviens, ce livre parle de nous."
Les villageois se rassemblèrent autour de lui et jetèrent des regards curieux par dessus son épaule mais sans vraiment parvenir à voir quoique ce soit.
"Là, par exemple" commença Darius, "il est question du boulanger, Monsieur Farine, qui aurait peint son chat en blanc alors qu'il était noir". Tout le monde se mit à rire.
"Comment est-ce possible ?!" s'indigna Monsieur Farine qui justement était parmi la foule, "j'avais l'intention de le faire demain, ce livre est ensorcelé, il lit dans mes pensées !!"
On se pressa davantage. "Encore !" cria un enfant.
"La page suivante nous raconte que Madame Mimolette a toujours fait semblant d'aimer ce fromage qu'elle vend depuis trente ans"
"Ohhhh" s'exclamèrent les villageois, "incroyable !"
C'est alors qu'un enfant se faufila tout près de Darius et parvint à voir les pages du livre.
"Tricheur !!! Les pages de ce livre sont blanches !" cria-t-il.
"Tu as raison" répondit calmement Darius, "mais suis-je pour autant un tricheur ? Vous avais-je promis la vérité ?"
Tous restèrent près de lui et attendirent en silence. Finalement une dame au foulard rouge chuchota : "Continue à lire, Darius, nous t'écoutons."
Et c'est ainsi qu'à travers les pages blanches d'un livre sans importance, Darius offrit aux villageois de vraies émotions avec de fausses histoires.

(Illustration Parastou Haghi)

20 octobre 2010

La dame aux chats



La dame aux chats habitait juste au dessus de chez nous. J'aimais bien aller chez elle parce que c'était comme entrer dans les vagues d'un océan de fourrure. L'appartement était tout entier bercé par de doux ronrons et on n'y avait jamais froid.
Au début, elle avait des chats qui ressemblaient à tous les autres chats. Des chats blancs, d'autres noirs, d'autres tigrés. Puis on avait commencé à apercevoir sur les toits des chats avec six pattes. D'autres avec dix. D'autres encore avaient quatre yeux ou cinq. La dame aux chats les appelaient ses "petites merveilles". Elle nous expliqua qu'elle les avait fait venir d'un lointain pays. Parfois elle recevait un carton et quelques jours plus tard les habitants de l'immeuble découvraient un nouveau chat étrange.
Jusqu'au jour où la dame aux chats mit une robe. Et l'on vit qu'elle n'avait pas deux jambes, mais trois. Alors on regarda ses chats d'un autre oeil. Les voisins se mirent à éviter son étage. Et on m'interdit d'aller dans son appartement. Une nuit je vis de la lumière sur les toits. Un grand vaisseau spatial était posé là. Il ouvrit sa porte et la dame aux chats y entra, suivie d'une multitude de pattes, de queues et de moustaches. Le lendemain personne ne sembla s'étonner de leur disparition. Les voisins étaient plutôt soulagés. Moi je décidai de ne rien raconter à personne. Et je regardai chaque nuit par la fenêtre espérant qu'elle viendrait me chercher.

(Illustration Jacinthe Chevalier)

19 octobre 2010

L'automne à Paris



C'est ça, l'automne, à Paris. C'est gris, humide, plein de chats qui se baladent sur les toits glissants et qui chipent dans les poubelles. C'est ça. Ça pétarade, ça freine au dernier moment, ça crie dans les voitures, ça montre le poing et ça double. Rien de nouveau sous la pluie. A Paris, l'automne, ça donne envie de tarte aux pommes chaudes et de crème fraîche par dessus. Ça donne envie de BD sous la couette. De repas entre copains, avec l'eau qui tombe sur le toit et qu'on entend entre deux rires. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça. Peut-être parce que j'ai quitté cette ville il y a longtemps avec mes parents. Peut-être parce que j'ai quitté l'enfance ailleurs alors que je l'avais commencé là. Ou peut-être seulement parce que j'ai quitté l'enfance malgré moi.

(Illustration Frédérique Thyss)

18 octobre 2010

Mon papa


Mon papa, à moi, il ne travaille pas. Il préfère rester à la maison pour nous garder, ma petite soeur et moi. Il dit que c'est mieux que de se faire garder par un patron dans un bureau. C'est plutôt chouette. Surtout que mon papa, il a un drôle de pouvoir secret. Celui de faire vivre les jouets. Alors quand il fait le loup et qu'il me cours après, c'est toute la chambre qui s'enfuit. Les voitures démarrent à toute vitesse, les pantins boitillent pour lui échapper. Même les peluches sortent de leur coffre en bois pour participer à la course. C'est le grand bazar et ça fait beaucoup rire Lola qui regarde à travers les barreaux de son lit.
Par contre ça fait moins rire maman qui rentre le soir fatiguée et voit tous nos jouets éparpillés dans la maison. "Vous avez encore joué au loup on dirait ! ", elle dit, en général, après avoir posé son sac. Moi je ne réponds rien, je ramasse mes affaires dès que je la vois froncer les sourcils. Mais papa, lui, il a un autre pouvoir qui marche à tous les coups. Il appelle ça le bisou magique. C'est presque rien mais ça efface la mauvaise humeur de maman. Et comme ça, le lendemain, dès qu'elle s'en va, on peut recommencer.

(Illustration Pierre-Yves Cezard)

16 octobre 2010

Dans mon cartable



Depuis que j'emmène Bertrand à l'école, je m'ennuie beaucoup moins. Je l'entends qui ronronne dans mon cartable et de temps en temps je passe ma main entre les cahiers pour sentir sa fourrure épaisse. C'est rassurant. Ça m'évite de penser aux mauvaises notes et au passage devant le tableau.
Les premiers jours, Bertrand restait sagement au fond du cartable. Il dormait là, comme il aurait dormi n'importe où. Et puis il s'est mis à vouloir jeter un oeil dans la classe.
Et ce matin, il a même voulu descendre du cartable. J'ai fini par lui autoriser un tour rapide entre les tables mais en lui faisant jurer de se faire tout petit. Enfin j'ai ajouté, parce que je connais ses talents de chasseur : "et si tu attrapes une souris, ne la dépose surtout pas aux pieds de la maîtresse".

(Illustration Fabien Doulut)

15 octobre 2010

Peluche montre les dents



Peluche en avait marre.
Marre d'être pris pour un jouet. D'être trimballé dans une poussette et couché dans un berceau. C'est qu'il descendait du loup, pas du lapin nain ! Tous les matins il visait la porte de sortie en soupirant. L'heure de la promenade arrivait toujours bien tard.
Alors un jour Peluche sortit les dents. Il se mit à grogner. A baver. A griffer le tapis. A machouiller les meubles. On changea son nom. On l'appela Morsure. Il trouva que c'était beaucoup mieux. On lui mit un collier, de ceux qui serrent quand on tire. Il trouva que c'était beau. On lui mit une muselière. Il trouva que c'était un peu exagéré. On l'attacha à un piquet. Il trouva que c'était ennuyant. On le laissa dormir dehors. Il trouva que c'était froid.
Finalement il redevint gentil et doux. Il se laissa habiller en poupée. On lui redonna son nom de Peluche. Et il trouva que c'était tout simplement bien.

(Illustration Susanna Rumiz)

14 octobre 2010

Le loup, la crinière et le pot de beurre



Dès qu'il s'aperçut dans le miroir, Henri sut qu'il n'aurait jamais dû écouter les conseils de Léopold. Cette lotion "repousse tout" avait fonctionné, oui, et le petit trou sans poils qui autrefois enlaidissait son crâne n'existait plus, mais ce qu'il voyait était bien pire !
Il faut dire que Léopold était un lion. Et que chez lui, une crinière faisait toujours un bel effet, quelle que soit son épaisseur. Ce qui n'était visiblement pas le cas chez un loup.
Henri se mit à paniquer. Comment pourrait-il aller chez mère-grand avec cette horreur sur la tête ? Le petit chaperon rouge ne le prendrait jamais au sérieux ! Il prit des ciseaux, coupa les mèches, mais celles-ci repoussèrent aussitôt. Henri lut l'étiquette sur le flacon et vit "effet longue durée". C'était un vrai cauchemar.
Il n'y avait qu'une seule chose à faire : ne pas sortir de la journée. Attendre que la crinière cesse de pousser. Et la raser enfin.
C'est ainsi que ce jour là, le petit chaperon rouge apporta à sa mère-grand un petit pot de beurre, que toutes les deux passèrent un bon moment ensemble, et que personne ne fut dévoré.

(Illustration Le chien tomate)

13 octobre 2010

Le pays des poussins gris



Au pays des poussins gris seuls l'eau et les algues sont en couleur. 
Avec de la mousse et des rochers, certains ont fabriqué des poupées-poussin orange et vertes. Ils ont trouvé ça beau. Ils ont trouvé ça doux.
Et puis un jour, quelqu'un a dit aux poussins qu'un arc-en-ciel pourrait sans doute colorier leurs plumes en jaune. Depuis ils regardent sans cesse au loin, prêts à pédaler à toute patte pour plonger dans cette peinture venue du ciel.
Au pays des poussins gris, on attend un arc-en-ciel tout en se demandant à quoi cette créature merveilleuse peut bien ressembler.

(Illustration Ojni)

12 octobre 2010

Martin petit empereur



Un jour, dans sa chambre, Martin a fermé les yeux et il est arrivé en Chine. Vêtu d'habits en soie rouge et bleue. Aussi beaux que ceux d'un empereur. Autour de lui des centaines de lampions illuminaient le ciel. Au loin, un gong ajoutait un peu de beauté à tout cela.
Mais Martin n'ouvrit pas les yeux. Parce que son pouvoir de télétransportation ne fonctionnait qu'avec les yeux fermés. S'il ouvrait les yeux il retournerait immédiatement dans sa chambre. Alors il imagina des rizières. Respira le parfum des épices. Ecouta les chinois autour de lui qui s'étonnaient de sa présence. Sentit la soie sur sa peau. Mais ne vit ni les lampions, ni la couleur de ses habits.
Ensuite dans un soupir il regarda droit devant lui. Il vit son lit et ses jouets. Entendit sa mère l'appeler pour manger. Et oublia la Chine.

(Illustration Sophie Collin)

11 octobre 2010

Harold le pêcheur de rêves



Etre un pêcheur de rêves demandait de la tranquillité. Les rêves fuient devant le bruit et l'agitation.
C'est pourquoi Harold profitait chaque jour de la sieste des poissons pour faire flotter ses appâts sur le sable. A cette heure-ci, personne n'était là pour lui jouer des tours. De petites bulles éclataient silencieusement autour de lui.Tout était calme. 
Ce jour-là, Harold avait noué à sa ligne de pêche un petit bateau rouge, pensant que les rêves seraient attirés par cette couleur. Car la veille le bleu n'avait eu aucun succès.
Harold commença à s'endormir, bercé par la danse des bateaux devant lui. Quelques secondes plus tard un rêve mordit à l'hameçon. Harold sursauta, ouvrit les yeux. Le rêve était parti.
Les poissons se réveillèrent eux aussi et commencèrent à s'agiter. Harold ramassa ses bateaux en soupirant. Demain il lui faudrait encore essayer une autre couleur.

(Illustration Brunella Baldi)

9 octobre 2010

La création du monde



Le jour de la répétition ne se passa pas comme prévu.
Dès les premières notes, l'immense "orgue à glouglou" de l'artiste Bernardin se mit à déverser des litres et des litres d'eau. Bientôt l'église Saint Flavius fut inondée, et Madame Lucette se retrouva coincée dans un bénitier les tickets d'entrée en main, naviguant sur les flots en maudissant l'art contemporain.
Bernardin, lui, ne s'aperçut de rien. La musique l'accaparait tout entier. Il se croyait au milieu d'un océan déchaîné par la tempête. C'était sans doute le plus beau jour de sa vie. Et le soir du concert promettait d'être encore plus sublime.
Il continua des heures, sourd aux cris de Madame Lucette. Quand enfin son morceau fut terminé, il se retourna, les yeux pétillants, vit l'église pleine d'eau et déclara :
"Madame Lucette, vous avez assisté dans cette église à la création du monde."

(Illustration Elice)

8 octobre 2010

Super Léo



Il avait le costume. Il avait la crinière. Il avait le surnom. Super Léo était prêt.
Prêt à venir en aide aux plus faibles de la savane. Prêt à voler au secours des antilopes menacées par les crocodiles au point d'eau. Prêt à repousser les hyènes dérobant la part des petits.
Il se voyait déjà, survolant les herbes sèches le poing en avant, puis surgissant des fourrés pour terrasser le méchant. Les lionnes en seraient folles. On afficherait son portrait dans toutes les savanes du monde. On le verrait sur les couvertures des magazines.
Super Léo n'attendait donc plus qu'un appel au secours.
Il attendit toute une journée. Puis toute une nuit. Et toute une autre journée. Et encore toute une autre nuit.
Finalement, il comprit que les uns mangeaient les autres sans que personne ne s'en plaigne. Qu'ainsi étaient faits les animaux. Et qu'il n'y aurait donc jamais de place dans la savane pour un super-héros comme lui.

(Illustration Cécile Vangout)

7 octobre 2010

Prouver



Complètement perdu. Trois jours de route, à pédaler comme un dingue et le voilà devant un panneau en train de se demander s'il n'aurait pas dû prendre à droite, dix kilomètres plus tôt. Ou bien à gauche, la veille. La dernière fois il avait dû abandonner. Au bout de cent soixante seize kilomètres. Et tout le monde avait été déçu. Surtout lui.
Alors pas cette fois. Pas après trois jours de voyage. S'il faisait tout ça c'était justement pour prouver qu'il n'était pas le "débile" qu'on avait cru toutes ces années. "Débile", à l'école. "Débile", au collège. Pas au lycée. Même pas la peine, le lycée. On lui avait dit "pas les capacités".
Depuis il avait démontré bien des choses. Il avait franchi des étapes. Mais il lui en restait une. Et ça n'était pas ce panneau qui l'empêcherait de continuer. Il avait prouvé qu'il était capable d'apprendre. Il avait prouvé qu'il était capable de travailler. Il avait prouvé qu'il était capable d'être autonome. Il avait prouvé qu'il était capable d'aimer, et de se faire aimer.
Il prouverait maintenant qu'il était capable de traverser la France en vélo. Tout seul.

(Illustration Pierre-Yves Cezard)

6 octobre 2010

La lecture



C'est toujours comme ça, quand je lis une histoire.
J'ouvre le livre et au début je ne vois que des lettres. Alignées dans l'ordre.
Puis mes yeux s'habituent. Ils vont directement jusqu'aux images cachées derrière. Plus besoin de passer par les mots. Plus besoin de comprendre ce que je lis. C'est comme être devant un film. Je ne me rends même plus compte que je tiens un livre et que j'en tourne les pages.
Ensuite j'entends des bruits. La musique du livre. Et c'est là que j'entre à l'intérieur. Ou plutôt non.
C'est là que l'histoire vient jusqu'à moi. M'entoure. Me prend dans ses bras.
C'est toujours comme ça, quand je lis une histoire. Au bout d'un moment, c'est moi qui suis lu.

(Illustration Casajordi)

5 octobre 2010

Octave et Balthazar


Octave et Balthazar partaient chaque mercredi à la chasse au cochon ailé. Pour cela ils devaient monter à bord d'une montgolfière spécialement lestée qui restait à la bonne hauteur.
Car les cochons ailés ne volaient jamais bien haut. Ils se contentaient de traîner à neuf ou dix mètres, se laissant porter par la brise et grognant le nez au vent.
Octave avait fabriqué deux épuisettes avec lesquelles Balthazar et lui attrapaient sans difficulté les cochons ailés qui passaient près de la montgolfière. C'était moins compliqué que la chasse aux papillons car les cochons, eux, étaient lents, paresseux et vraiment idiots.
Ensuite Octave les gardait dans sa cage à cochons ailés, posée dans le salon, à côté de la cage à moutons ailés et de la cage à vaches ailées (à lait).
Toute cette ferme volante, virevoltante et bourdonnante, enchantait Octave et Balthazar. C'était comme être les fermiers du paradis.

(Illustration Olivier Daumas)

4 octobre 2010

Photo de classe



Savez-vous ce qui se cache sous nos villes agitées ?
Il se cache toute une cour de récréation. Des centaines d'enfants serrés les uns aux autres, comme sur une photo de classe et qui portent nos maisons comme des chapeaux. 
La plupart ont oublié qu'ils étaient des enfants et se sont endormis à force de ne plus pouvoir bouger. Certains gardent les yeux ouverts mais sont inquiets de voir tout le monde dormir. Ils savent qu'à leur tour ils fermeront les paupières.
On raconte que l'un d'entre eux, un jour, s'est échappé. Qu'il a couru si loin que son immeuble-chapeau s'est retrouvé en pleine campagne. Ses habitants étaient ravis. Mais d'autres enfants ont fini par le rejoindre. Peu à peu une nouvelle ville a envahi les champs. Ils se sont serrés, de plus en plus, oubliant ce qu'ils avaient fui.
Jusqu'au jour où l'un d'entre eux s'est encore échappé.

(Illustration Csil)

2 octobre 2010

La soupe symphonique



Pour préparer une soupe symphonique, il faut :
un peu d'inspiration
des bois, des cuivres et des cordes
un La pour s'accorder
une baguette pour touiller

Mélanger les ingrédients dans l'ordre de votre choix. Ajouter le La. Attendre que le mélange prenne. Touiller avec la baguette. Tapoter sur le bord du bol jusqu'au silence complet. Attendre que plus personne ne tousse. Faire chauffer jusqu'à ébullition.
Attention, avant de boire la soupe symphonique, souffler pour refroidir. Laisser s'échapper une ou deux mesures. Ensuite, vous pouvez déguster.

(Illustration Sandrine Kao)

1 octobre 2010

Le rêve de l'oeuf



Cette nuit j'ai rêvé que je portais un oeuf. J'étais en chemise de nuit et je marchais dans un endroit étrange. 
Je ne sais pas d'où venait cet oeuf, ni pourquoi je le portais ainsi sans me servir de mes mains. Tout ce que je sais, c'est que je n'avais pas le droit de le faire tomber. Quand il restait en équilibre, il devenait blanc. Le reste du temps, il était tout rouge. A un moment donné, je me même suis amusée à le faire tenir sur mon dos ! C'était un vrai numéro de cirque.
Et puis l'oeuf est tombé. Boum. Splash. Une véritable omelette. J'ai cru que c'était la fin du monde. Qu'il se passerait quelque chose de terrible. En fait, ce qu'il s'est passé, c'est que je me suis réveillée. Rien de plus. Mais c'était déjà beaucoup.

(Illustration Suana Verelst)