31 août 2010

Icare





Icare était un oiseau au plumage rouge vif.
Il disait à qui voulait l'entendre qu'il était le fils du soleil et passait de longues heures sous ses rayons, attendant qu'un jour, son père lui parle.
"Le soleil me parlera" disait-il, "et vous saurez alors que je dis vrai."
Les autres oiseaux, cachés à l'ombre, pensaient qu'il était fou.
Mais un jour Icare s'envola. Il battit des ailes jusqu'à s'approcher tout près du soleil. 
"Père" cria-t-il, "me reconnais-tu ?"
Le soleil lui fit un clin d'oeil. Tous les oiseaux, en bas, virent ce prodige et regrettèrent immédiatement de l'avoir pris pour un fou.
Mais terrassé par la chaleur, Icare cessa de battre des ailes et tomba. 
On dit que beaucoup, plus tard, un poète donna son nom à un héros.


(Illustration Lionel Larchevêque)

30 août 2010

Marion n'ose pas



Tous les jours je passe par là en rentrant de l'école.
Tous les jours je m'arrête devant le passage piéton et je me répète "Ne pas traverser... Ne pas traverser...".
Tous les jours j'entends maman me dire "Marion, pas de bêtise, et pas de sucreries !"
Tous les jours je sens pourtant mes jambes devenir molles devant les gâteaux à la crème et les madeleines au chocolat.
Tous les jours je rêve devant ce magasin rouge. Je reste là et j'invente des pâtisseries extraordinaires en fermant les yeux. Comme la boule de pâte d'amande géante recouverte de chocolat fondu et de crème chantilly que j'ai appelée "la montagne merveilleuse".
Tous les jours j'ai les mains moites d'avoir trop serré mon argent de poche.
Et tous les jours, tous les jours sans exception, je rentre chez moi en pensant "c'est décidé, demain, je désobéis". 

(Illustration Susanna Rumiz)

29 août 2010

Zoo








Le chat qui était un garçon avait décidé de jouer au singe.
Il marchait, depuis, sur ses pattes avant, qui étaient en fait ses pattes arrière. Ça demandait de l'entraînement mais le résultat était fabuleux.
Il se demanda s'il ne pouvait pas devenir un singe qui serait un chat.
Pour cela il ne fallait plus être un garçon.
Il fallait se faire pousser des poils et une longue queue.
Le plus embêtant, pensa-t-il d'abord, c'est que personne ne me reconnaîtra.
Le plus embêtant, pensa-t-il ensuite, c'est qu'on ne m'appellera plus "mon poussin".

(Illustration Julien Castanié)

28 août 2010

Premier métro




Premier jour au collège. Premier matin dans le métro. Tout seul. Je soupirais en attendant la rame. Au-dessus de moi un petit garçon perché sur son père criait "c'est par-là qu'il arrive ? Hein ? C'est par-là ?". Et moi je suppliais qu'à la place du métro, un grand bateau à trois mâts débarque dans un déferlement d'eau et m'emporte directement à l'âge adulte.
Premier jour de collège.
Dernier jour en enfance.

(Illustration Elice)

27 août 2010

Monsieur et Madame Louis



Chaque jour Monsieur Louis rentrait à la maison avec un bouquet de tulipes rouges. Au début Madame Louis avait trouvé ça charmant. Et puis elle avait fini par ne plus savoir où les mettre. La maison en était pleine, il y en avait sur le mur, sur chaque meuble, sur les étagères, par terre. On avait dû vendre le lit et le panier du chat parce qu'il était impossible de poser un vase dessus et que ça prenait de la place.
Parfois Madame Louis pensait qu'il fallait que ça cesse. Elle se préparait toute la journée à dire à Monsieur Louis qu'elle en avait assez. Elle répétait son discours, seule, dans la cuisine.
Et puis Monsieur Louis rentrait avec un bouquet de tulipes rouges.
Et Madame Louis retombait amoureuse.

(Illustration Sophie Collin)

26 août 2010

Les Toiles Patibulaires


Ce jour-là, le Spatio-Merle comprit qu'il ne fallait jamais, plus jamais naviguer vers les Toiles Patibulaires sans avoir préparé sa route.
Il n'eut pas le temps de regretter d'avoir été si imprudent. Juste après lui avoir ordonné de partir, le terrifiant et pustuleux Ploopr n'en fit qu'une bouchée. Ensuite il recracha son casque par la trompe.
Puis il se roula en boule et attendit patiemment qu'on vienne à nouveau le déranger pour avoir son dessert.


(Illustration Olivier Daumas)

25 août 2010

Madame Secret




On l'appelait Madame Secret.
Personne ne connaissait exactement son âge.
On disait qu'autrefois elle avait été maîtresse d'école. Mais elle ne parlait plus depuis longtemps.
Les enfants aimaient la regarder à travers les buissons, quand elle se balançait dans son jardin. Ils lui inventaient des histoires.
Et puis un jour la pluie est tombée. Madame Secret a freiné sa balançoire doucement, d'un pied. Elle a tendu sa main et a dit, devant les yeux médusés des enfants cachés là, "on dirait qu'il pleut".
Personne ne les a jamais crus.


 (Illustration Barbara Rothen)