17 décembre 2010

Histoire d'une histoire



Voici l'histoire d'une histoire.
Un jour l'histoire trouva sa cage ouverte. Rêvant de liberté elle s'échappa, sous l'oeil curieux de son auteur qui se demanda ce qu'elle allait devenir. Un livre, une autre histoire, un cauchemar, peut-être ?
L'histoire s'envola donc mais se trouva vite face au danger : les pages d'un bateau-livre faillirent l'attraper. Elle accéléra et continua son chemin. Comme elle était fatiguée, l'histoire se posa ensuite sur un drôle de rocher. Mais elle s'aperçut soudain que c'était un croc-o-contes. Et qu'il avait déjà dévoré trois histoires comme elle. Vite, l'histoire repartit, bien déçue de tous ces dangers qui rendaient la liberté plutôt effrayante. Elle retrouva le chemin de sa cage et referma la petite porte derrière elle en poussant un long soupir.
Non, vraiment, cette petite histoire n'était pas prête à devenir autre chose.

(Illustration Frédérique Thyss)

16 décembre 2010

Le directeur



Comment avait-il fait pour atterrir là ? Ou plutôt, pour amerrir là ?
Comment était-il passé de son bureau de directeur de l'Ecole Primaire Van Gogh, à cette mer toute verte ? Pourquoi avait-il une queue ?
Il se souvenait d'avoir puni Martin, l'élève de CE2 B qui passait son temps à ennuyer la maîtresse. Il se souvenait de l'avoir assis dans son bureau, et de lui avoir ordonné de copier cinquante fois "je dois respecter Madame Mouchin". Il se souvenait d'avoir entendu Martin lui dire "vous l'aurez voulu". Il se souvenait de cette drôle de baguette brillante qu'il avait sortie de son cartable. Il se souvenait d'avoir été ébloui. Ensuite, il ne se souvenait plus de rien. Mais quand il avait ouvert les yeux, il s'était retrouvé là.

(Illustration Danielle Kattar)

15 décembre 2010

Grand'Zoreilles



Ce qui est bien, à l'hôpital, c'est que la nuit Grand'Zoreilles devient vivant. Dès que la lumière est éteinte et que l'infirmière est partie, il ouvre ses yeux et se met à parler et à gigoter dans tous les sens. Je me demande comment il fait pour tenir toute la journée comme ça, sans bouger, tout mou, comme une vieille peluche. Sûrement que ça doit être super difficile de voir défiler les médecins, les infirmières, mes parents, sans rien dire. Du coup, la nuit, il se rattrape. Il a des tas de choses à me dire. Je n'ai plus qu'à l'écouter parler. Et c'est drôlement intéressant d'entendre sa journée vue par les yeux d'un faux lapin en peluche. Il pense que les infirmières sont des colombes, que les médecins sont des bonhommes de neige, et que mes parents sont un roi et une reine. Ça transforme mes journées en histoires bizarres. J'adore ça. Dommage que ce soit un secret. Parce que je suis sûre que si les grands entendaient ça, ils verraient le monde tout autrement.

(Illustration Noémie Weber)

13 décembre 2010

Fais-ta-star



Camille, elle a tout. Elle a des lunettes, un cartable et un pull "Super-Brille" (un peu court, mais "Super-Brille" quand même), une gomme à paillettes,  un stylo quatre couleurs à l'encre parfumée, un cahier "Fais-ta-star", tout. Alors elle crâne, le matin, à l'arrêt de bus. Je suis sure qu'elle vient vingt minutes en avance juste pour ça.
Moi je surveille le bus de ma fenêtre et je descends quand je le vois au bout de la rue. Il n'y a pas d'étoile sur mes affaires. Je ne vois pas pourquoi je resterais là vingt minutes pour ne rien montrer. Et puis, les histoires qu'on a dans la tête, ça ne se montre pas. Ça ne brille pas et ça ne sent ni la fraise ni les fruits exotiques. C'est là, c'est tout. Il n'y a que moi pour les voir.
Mais ça, au moins, ça reste.

(Illustration Gwendoulash)

11 décembre 2010

Dans les livres



Il ne faut jamais croire ce que l'on voit dans les livres.
Penses-tu vraiment qu'un oiseau puisse se percher sur un nuage ? Qu'une maison puisse tenir, aussi penchée, en haut d'une colline ? Que les roues d'une remorque soient aussi petites que des biscuits et que les arbres n'aient que trois ou quatre branches ? Penses-tu qu'un oiseau qui chante fasse apparaître des mots devant son bec ?
Non, ne crois pas ce que tu vois, dans les livres.
Mais promène ton regard. Rêve. Imagine. Et ne reviens pas.

(Illustration Nicolas Gouny)

10 décembre 2010

Les dimanches matin de Suzette




Le dimanche matin, à neuf heures, c'est l'heure de la gymnastique à la télévision. Prunille ne raterait ça pour rien au monde. A peine levée, elle avale vite vite un jus de carottes, enfile sa tenue rose, et attend ses copines. Parce que la gymnastique, même si c'est bien, c'est bien plus amusant à quatre.
Suzette, elle, voit ça tout autrement. Le dimanche matin elle aimerait rester au lit. Manger des tartines sous la couette en écoutant de la musique douce. Se lever à midi.
Mais Prunille est sa meilleure amie et il ne faut pas la décevoir. Alors adieu, les dimanches matin à ne rien faire ! Suzette met son survêtement bleu et traîne les pieds jusqu'à la maison voisine. Quand Prunille ouvre la porte, Suzette fait un large sourire, tourne sur elle-même et dit "dimanche matin, à bas les coussins !"
Ensuite elle rejoint les autres, et attend, comme chaque semaine, que cette affreuse matinée se termine.

(Illustration Madame Prope)

9 décembre 2010

Le garde-chasse ridicule



Il était une fois, dans une forêt de sapins, au pied de la montagne, un garde-chasse qui s'appelait Saturnin.
Saturnin était un homme mais avait l'âme d'un enfant. Chaque matin, il partait à la chasse au cerf, non avec un fusil, mais avec un filet à papillons. Car il avait beau être garde-chasse, Saturnin détestait ceux qui effrayaient les animaux. Et haïssait les chasseurs.
Pour attirer le cerf, il se coiffait d'un chapeau à bois, pensant ainsi que l'animal le prendrait pour l'un des siens. Il avait également fabriqué une corne spéciale qui chuchotait des mots doux. 
Bien sûr le cerf n'était jamais bien loin. Et aurait bien voulu un jour être l'ami de Saturnin. Mais les sapins et les montagnes riaient tellement de bon coeur devant l'accoutrement du garde-chasse, qu'il n'osait pas s'approcher. Car un cerf ne peut se permettre d'être ridicule. Même s'il a besoin d'un ami.

(Illustration Flambi)

8 décembre 2010

La douche de mots



Augustin trouve l'eau désagréable et glissante, tout juste bonne à être avalée.
Ce qu'il aime lui, c'est se laver avec des mots. Des mots bien chauds, un peu plus que tièdes. Il faut savoir que pour se laver avec des mots, pas besoin de retirer ses vêtements, pas besoin de se rhabiller ensuite, c'est franchement à se demander pourquoi tout le monde ne fait pas ainsi.
Quand il est vraiment sale, Augustin choisit des mots qui frottent, comme "frigo", "fracas", ou "frimas". Et il ressort tout propre. Quand il est juste un peu poussiéreux, il se lave avec des mots doux, comme "dormir", "dodeliner", ou "dorer". Quand il est fatigué, il prend une douche de mots juste pour le plaisir. Ces jours-là, Augustin ne choisit rien. Il lève les yeux et regarde les mots tomber lettre après lettre et lui raconter une histoire.

(Illustration Séverine Robin)

7 décembre 2010

Les poissons volants




"Cette fois, mes parents me croiront", pensa Nina. Et elle continua à reculer tout doucement pour ne pas effrayer les poissons. Ce morceau de brioche semblait vraiment les attirer. Ils l'avaient suivie de l'océan jusqu'à la maison, d'abord nageant, puis volant.
"Cette fois, ils me croiront, vraiment", continua à penser Nina, approchant du salon. "Ils verront de leurs yeux que les poissons volent quand ils ont faim. Et que je n'ai rien inventé, l'autre jour."
Puis, au moment d'entrer dans la pièce où se trouvaient ses parents, les poissons juste devant elle, Nina annonça, d'un air victorieux : "A qui le ventre est affamé, poussent des ailes !"

(Illustration Romain Laforet)

6 décembre 2010

Le secret du Père Noël



Tout le monde sait que le Père Noël a une grande barbe blanche. Tout le monde sait qu'il porte un manteau rouge et des bottes noires. Tout le monde sait qu'il a aussi un bonnet bordé de fourrure blanche. Et qu'il aime les enfants au point de leur apporter, chaque année, les jouets dont ils rêvent.
Mais ce que l'on sait moins, et même pas du tout, c'est que le Père Noël est aussi grand qu'une maison.Tellement gros, que plusieurs enfants peuvent l'escalader sans même le réveiller.  Tellement immense qu'il lui est bien sûr impossible d'entrer dans une cheminée.
Ce que l'on sait moins, et même, pas du tout, c'est que les seules choses qui passent par la cheminée sont les cadeaux, dans sa main, tout au bout de son long bras. Alors, enfants, si le soir de Noël vous croisez un monstre noir au beau milieu du salon, n'ayez pas peur, approchez-vous. Guidez la grosse main gantée du Père Noël jusqu'au sapin. Ensuite, retournez vous coucher et attendez que le soleil se lève.

(Illustration Anthony Naulleau)

3 décembre 2010

Bernard l'élégant




Bernard était un renard très coquet. Il ne supportait plus de porter tous les jours cette fourrure rousse et ce bout de queue blanc. A l'aube, il se faufilait donc dans les jardins pour y trouver de quoi être élégant. Il avait essayé toute sorte de choses : culottes, robes, bonnets, pantalons... mais il préférait les chaussettes par dessus tout. Savez-vous pourquoi ?
Parce qu'ayant quatre pattes, il avait le bonheur de pouvoir en porter quatre différentes, et toutes à la fois !

(Illustration Julie T)

2 décembre 2010

Le Grand Chapardeur



Au moment où le Grand Chapardeur l'attrapa, Marjorie fit semblant d'être une poupée. Au pire, s'il trouvait une poupée, il la mettrait dans son gros sac comme tout ce qu'il ramassait, et elle n'aurait plus qu'à s'échapper discrètement un peu plus loin. Mais s'il trouvait une petite fille, que ferait-il ? Est-ce que le Grand Chapardeur était un mangeur d'enfants ? La retiendrait-il prisonnière ? Avait-il un ami ogre à qui il donnait ce qu'il ne voulait pas garder ?
Pendouillant dans ses bras, Marjorie trouva que le Grand Chapardeur n'avait pas l'air méchant. Qu'il avait plutôt l'air triste. Elle eut presque envie de lui sourire, pour voir. Mais abandonna aussitôt cette idée en apercevant, attachées à son sac, les lunettes de son petit frère que personne n'avait revu depuis plus d'un an.

(Illustration Cinzia Sileo)

1 décembre 2010

Peindre



C'est l'histoire d'un peintre qui n'aimait pas la peinture. Qui pensait que cette espèce de liquide collant n'avait rien de beau. Et que pour peindre, il fallait utiliser le monde, pour de vrai.
Ainsi, un jour, il a peint avec ses larmes. Et sur la toile, a vu apparaître son meilleur ami, qui lui manquait depuis qu'il était parti en Amérique. Une autre fois il a peint avec du jus d'orange, et un grand soleil chaud s'est dessiné. Mais la plus belle toile fut celle qu'il peignit avec l'eau de l'Océan Indien, rapportée d'un voyage. Bien qu'elle fut simplement bleue dans son seau, l'eau sur la toile fit apparaître un paysage marin magnifique, peuplé de poissons colorés. Certains dirent que ce n'était pas un vrai peintre, que tout le monde pouvait faire la même chose. Mais quand ils essayèrent, l'eau de l'océan indien s'étala sans couleur sur leurs toiles et retomba en flaques sur le sol.

(Illustration Fabien Doulut)